Florilège : La calligraphie

 

Humeur / Rumeur

 

Jean Delahaut

Leçon de conjugaison manuscrite dans le grand cahier de cours de l'instituteur de Focant, Octave Delahaut, en 1943. Collection M-A D.

 

 

 

Dans la petite école rurale, tout l'espoir masculin du village, trente potaches de cinq à treize ans étaient absorbés sur leurs bancs de hêtre à deux places.

 

Comme toujours, en ce matin d'hiver, flottait dans l'air une senteur âcre, piquante : dans les clous des souliers avaient bien dû rester quelques relants de l'étable qu'on avait nettoyée avant que le jour ne se lève.

 

Chez les moyens, c'était l'heure de la calligraphie. Ce n'était pas le tout de pouvoir écrire, il fallait le faire bien. Alors, de leurs doigts de huit ans, déjà durcis au contact du manche de la fourche et crevassés par les engelures, ils saississaient leur porte-plume, le trempaient dans l'encre violette puis traçaient dans le cahier spécial à deux lignes les courbes de A qui n'en finissaient pas de s'élever avant de retomber dans des arabesques souriantes.

 

Chaque majuscule avait son caractère : les N qui étaient chaussés de poulaines, les W qui redoublaient les difficultés par leurs deux voyages obligatoires et qui s'abandonnaient dans l'air comme inachevés, les O avec leur frange sur le front, les E qui avaient le visage d'une vieille dame renfrognée, les H de Henri, Honnay, Hoyoux, qui partaient si bien qu'ils en étaient des invitations au voyage et, enfin, les X qui se prenaient pour des H mystérieux et qui ne serviraient jamais...

 

De temps en temps, les potaches lâchaient le porte-plume et se secouaient la main pour reprendre de plus belle la plume "ballon" qui grinçait quelque peu dans les montées et épanchait parfois sa goutte d'encre dans les descentes trop appuyées...

 

En ce temps-là, il ne fallait pas seulement savoir écrire sans faute, il fallait aussi avoir une belle écriture.

 

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