Focus-Talents.org

Gastronomie

Accueil
  • Objectifs et contacts
  • Les Talents
  • Musique
  • Photographie
  • Peinture et dessin
  • Gastronomie
  • Florilège

> Gastronomie wallonne d'hier et d'aujourd'hui

000 - Mise en bouche

Jean Delahaut

Une recette de cuisine n'est pas une ordonnance pharmaceutique.
Une recette qui n'est pas interprétée largement, mais exécutée à la lettre, machinalement,
ne donnera jamais qu'un résultat médiocre.
Avec une recette on ne fait pas plus facilement un bon plat qu'un beau tableau,
qu'un beau poème, qu'un bon roman, qu'une belle symphonie, qu'un bon discours.

La recette n'est jamais qu'un guide, un vade mecum.
Si l'exécutant n'y met pas du sien, s'il ne sent pas du ciel l'influence secrète,
il ne fera rien de remarquable
[...].
On n'arrive pas à l'art avec des béquilles ni avec des oeillères.
L'apport personnel joue un rôle prépondérant dans la cuisine
comme dans la littérature, la peinture et la musique.

 

Maurice des Ombiaux, Traité de la table, Cuisine, Recettes, Vins, Ornementation,
Paris, Société française d'Editions littéraires et technique, env. 1930.

 

La gastronomie ? Je peux dire que je suis tombé dedans étant petit... Ma mère, cadette d'une famille comptant déjà six garçons et une fille, avait suivid es cours culinaires dans la région d'Arlon où elle était née. Ses cahiers en attestent. Elle aimait cuisiner et tout le monde le savait. Il y avait aussi Tante Lydie. Elle tenait à Pondrôme un café-hôtel-restaurant "Chez Grégoire". Dès que je fus grand assez pour atteindre la cuillère en bois qui trônait dans le poêlon en cuivre, je dus "touiller" les sauces pendant que ma tante allait au café servir des petits pèkets clandestins. Mes repas étaient faits de sanglier, de lapin, de faison faisandé et de mille autres trésors qui m'habituaient sans que je ne le sache à des saveurs riches de passé.

 

Mon grand-père, secrétaire communal à Honnay, m'a appris comment on faisait des "oreilles di bèguènes" ou des "tchitches di prônnes". Il m'a raconté le café "infernal" qu'on lui servait à Beauraing lors des grands froids : on passait du pècket bouillant au lieu d'eau ! Il avait toujours son pot de davé tenu au chaud sur la "buse" de la cuisinière... Il avait fait beaucoup rire Tante Lydie la fois où il lui avait dit : Purdo one jatte di cafè, c'est do novia qui dj'ai fait hèrsè *.

 

 Ma mère était, à Focant, "Madame de Monsieur le Maître". On la savait friande de gibier et les chasseurs annonçaient à Monsieur le Maître le deuil d'un grand cerf ou celui d'un sanglier de cent kilos. Les braconniers l'approvisionnaient en cuisses de grenouilles - j'ai le souvenir de poêlées débordantes - ou en brochets tués au fusil et criblés de petits plombs.

 

Il y eut, avant la guerre, les banquets pantagruéliques des "Conférences pédagogiques du Cercle de Houyet". Le matin, l'inspecteur et les instituteurs parlaient de méthode globale et d'enseignement du milieu. A treize heures, on passait chez le maître qui recevait et c'était le banquet... Il y eut une telle escalade dans la gastronomie des "Madames" qu'on dut y mettre fin...

 

Sur le plan culinaire, la guerre fut, pour le petit villageois que j'étais, un moment de riches observations. Monsieur le Maître transforma le poulailler en porcherie. Je connus de visu la mort du cochon, la récolte du sang, la fricassée du premier jour, les boudins, les pâtés et les jambons du saloir parmi lesquels venait se loger, comme par hasard, une cuisse de sanglier promise à de géniales dégustations.

 

Je me dois de citer aussi Tante Ninie. Elle habitait Hollogne près de Marche-en-Famenne et on allait chez elle pour son jambon. Juste au-dessus de sa cuisinière, il y avait un solide crochet fixé au plafond. La veille de la venue de convives, elle y fixait un jambon d'Ardenne et le descendait de quelques centimètres dans un bouillon fumant fait d'herbes aromatiques. Elle l'y laissait le temps requis et, le lendemain, elle coupait les tranches d'une saveur aujourd'hui oubliée. Elle s'enfermait pour fabriquer en cachette le moka de ses desserts elle réussissait des galettes à nulles autres pareilles. Plus tard, comme certains grands artistes, elle est partie avec ses secrets.

 

J'ai appris à cuisiner par atavisme et j'ai toujours aimé tenter de ravir mes invités. Il m'est arrivé de cuisiner par défi, comme le jour où, pendant un rappel à l'armée, un ami, officier comme moi, me mit dans les mains un gros lièvre qu'il avait tué en voiture... Je le cuisinai avec les moyens du bord : marinade dans des gamelles, trois poêles allumés dans trois chambrées pour mes cuissons. J'ai réussi ce jour-là une sauce inédite et jamais reproduite parce que chaque convive, en arrivant, souhaitait que je goûte à la bouteille qu'il avait apportée. Si j'avais tout bu, j'aurais été incapable de servir le repas.. Dès lors, j'ai versé tous mes verres dans la casserole au lièvre : whisky, Martini, Picon, Pineau et d'autres... Une fois réduite, la sauce que j'ai obtenue était d'une telle saveur que le Major me demanda de mettre au point un ... banquet de corps. Ce que je fis.

 

Enseignant devenu journaliste, j'ai couru la Wallonie, la Belgique et le monde. Michelin ainsi que Gault et Millau furent mes guides et je suis allé chez les plus grands. En prenant des notes et en rêvant, par après, de reproduire la recette du plat que j'avais dégusté.

 

Ceux qui m'ont demandé de réaliser ce livre connaissent mon plaisir de cuisiner mais aussi la satisfaction que j'ai de voir mes convives heureux. Je souhaite à tous ses utilisateurs des joies identiques.

 

 __________________

* "Prenez une tasse de café : c'est du nouveau que j'ai fait hier..." (et donc torréfié la veille !).

 

^ 

____________________________________________________________________________________

Oser, créer, innover et entreprendre : Focus-Talents vous met en lumière
(c) https://www.Focus-Talents.org, filiale de eWoïa srl
 

 Propulsé par <MAD-Skills.eu> hébergé par wistee.fr