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Florilège : Rendez-vous

 

Roman "Jean-Baptiste"

 

Marie-Anne Delahaut 

Hour-en-Famenne, 25.09.1989.

Chapitres

01. Rendez-vous (MAD)  * 02. Li Dvantrain (JD)  * 03. La Ducasse (MAD) 

04. La Communion (JD)  * 05. Augusta (MAD)  * 06. Tristesse (JD) 

07. 205 (MAD)  * 08. Période de guerre 1914-1917 (JD)  * 09. Fleurs des champs (MAD) 

10. L'ardoise de Baptiste (JD)  * 11. Emois interdits (MAD)  * 12. Une Montre en or (JD) 

13. Jeanne (MAD)  * 14. Recette pour vivre vieux (JD)  * 15. Tout l'amour d'une maman (MAD).

 

Photo M-A D. Quand le Soleil se lève, avec un clin d'œil à la Lune claire, 
Hour-en-Famenne, 21.05.2018.

 

Ainsi donc l'instant est venu...


Je devinais son approche, et pourtant me voici désemparée. Elle m'a réveillée, évidemment. Je la sens qui souffle vers moi la force entière de sa rondeur puissante. Je sais qu'elle vient là, une seule fois l'an, peu avant l'équinoxe. Les tentures épaisses, moins bleues que la nuit, n'ont pas réussi à atténuer son appel. Je la sens, je la sais. Lentement je m'extirpe de la couette chaleureuse. La fenêtre ouverte laisse venir jusqu'à moi l'appel rauque de l'oiseau de nuit. La campagne éclairée par l'astre indiscret dévoile les hôtes secrets dont le parcours laisse dans l'horizon de simples traces cuivrées, furtives.

 

Je sais parfaitement que cet intermède de la Lune complice n'a d'autre but que de laisser mon cœur reprendre un rythme plus cohérent. J'ai attendu ce moment, je l'ai imaginé, vécu... mais je me sens déroutée et impuissante. J'enfile le pull angora noir qui respire encore son regard. Sa douceur enveloppe mon stress. Son parfum me rassure. Mon corps même réchauffe mon esprit, par cette bouffée fraîche et sensuelle. J'ajoute sans bruit un brésilien noir et mes ballerines, noires elles aussi, vestige de mon rêve de danseuse... Mes pointes me portent, impatientes, vers cette fenêtre du rendez-vous. Jamais orientation n'a été ainsi parfaite, point d'équilibre entre le coucher du soleil et le lever du crépuscule, entre le coucher de la lune et la gloire de l'aube...

 

J'ouvre les tentures ivoire, j'attire vers moi le siège du bureau, je m'installe, je suis prête.  

 

Pour prendre plus intimement part à la magie, j'ouvre la fenêtre, téméraire. La peau bronzée encore de mes cuisses nues frissonne. Je règle ma respiration sur celle du vent, somnolent, qui ondule dans les bouleaux, juste devant moi. Le ciel est nuit, bleu, immense. Quelques nuages vagabonds se prélassent, au-dessus de ma tribune. Attendent-ils aussi le réveil de lumière ? Une lueur légère et discrète point au loin. Le signal. Quelques minutes encore me sont offertes (grâce à la lune vigilante) pour parfaire ma relaxation. Je me penche confortablement à la fenêtre pour saisir comme un baiser l'onde fraîche qui se roule voluptueusement dans les senteurs champêtres. Délectation de ces piments mystère, issus des champs, des bois, de la sapinière, de la rivière tout à la fois. Je respire et je m'envole, légère.  

 

A ma gauche, le village endormi offre son relief surprenant. Le clocher pointé lui-aussi pour le spectacle, a sonné‚ le rassemblement : les toits se sont réunis, désordonnés, ronronnant des dormeurs qu'ils abritent, autour de ce point de ralliement. La vallée se laisse bercer encore, roulant les roches de son versant Est dans les paillettes d'argent fruits de Lune. En rythme jusqu'au bout de l'horizon, les arbres oscillent dans l'haleine de l'aurore, indifférents à leurs branches presque dénudées par l'ancestrale saison. Là-bas, silencieuse dans la distance, serpente l'autoroute, bordée de scintillances oranges comme bientôt les guirlandes de Noël... 

 

Rassurée sur mon entourage, je reprends mon guet. Face à moi, la lueur se fait plus franche. Le ciel s'éclaircit dans un cercle mauve qui s'étire langoureusement. Il sait la féerie qui m'attend, et se réjouit. Les nuages, aux premières loges, rosissent de plaisir, et jouent aux moutons espiègles. L'orange irise maintenant leur rose rondeurs, avive leurs formes floconneuses d'un rai de feu, de flamme, rouge rose pourpre. L'horizon offre son immensité à la brûlure de l'astre prêt à naître. Mauve rose violette, la ligne qui marque le cercle de la Terre s'accroche au contraste des lumières, protège un instant de plus la torpeur givrée des rayons encore frêles. Roses violets pourpres, le ciel et la Terre semblent s'unir dans l'effort d'une respiration, pour s'entrouvrir dans un sursaut de sommeil.  

 

Instant magique. Juste devant moi, la lumière naît, soudain, vite et lentement, irradie le ciel et les champs, irise les diamants de givre jusque sous ma fenêtre. S'enfile autour des branches qui se détachent en contre-jour, épicéas contre bouleaux, noisetiers contre néfliers. S'engouffre dans les nuages, pourpres rouges orange, moutons mutant en éléphants, malgré la brise qui s'est tue, le souffle coupé par la splendeur. De toute manière, les arbres, majestueux dans cette brillance, ne bougent plus, comme s'ils voulaient fixer dans ma mémoire leur robe d'aube, pour fêter l'union sulfureuse du givre de la nuit avec la caresse du soleil. 

 

Je crois que moi aussi, j'ai cessé de respirer. Je pourrais compter les secondes du rebours : l'astre gravit fièrement les marches de mes collines, savourant le plaisir de surplomber de sa caresse les courbes de ma Famenne. Rouge orange dorée, la boule de feu embrase mon esprit à la suite des ondulations de mon paysage, de mes bocages. Ma gorge nouée bat au pas du Soleil. Le voici qui explose dans mes yeux, qui éclabousse de sa joie de créer le jour mon visage, mon cou, mes bras angora, mes jambes nues. Je suis debout, figée. Le jaillissement Soleil emplit de sa chaleur la nature tendue vers lui. Nos cœurs battent l'unisson de notre fascination. Doré jaune blanc, le soleil éclate d'un rire carnassier. Son demi-cercle continue à grimper à l'assaut du ciel : les éléphants ballons restent à séduire... L'horizon resplendit, découpe à traits vifs ses contours les plus secrets. Le givre lui-même perd de son brillant, et se répand sur les écorces hautes. La rosée, semence du jour, fille de terre et de ciel, forme ses gouttes à l'image de l'astre, prisme qui se multiplie ainsi à l'infini. 

 

Les oiseaux attendaient cet instant. Les nids bruissent, les ailes se déploient, les becs lissent et s'abreuvent de la rosée précieuse. Ils se réveillent, goûtant la lumière, et tout à coup - je n'ai pas deviné leur chef d'orchestre - tous se mettent à chanter, à piailler dans le matin qui fait leur marché - mais si, maintenant je l'entends, c'est le coq, fier et inspiré par le gala matinal, qui a donné le la!  

 

Le Soleil file vers d'autres réveils, quelques pays plus loin. La journée sera froide, le ciel presque trop bleu en témoigne. Bientôt le brouillard s'élèvera de la rivière et masquera l'horizon. Les jambes vacillantes encore, je rejoins ma douche. Mon corps se délecte de son massage chaud, extirpant les derniers soubresauts de mon euphorie soleil. Par la fenêtre de la salle de bain, je salue une ultime fois la Lune, blanche et translucide à présent. Elle s'emmitoufle dans les ballons écharpes des nuages, roses ouateux bleutés qui l'enveloppent pour son jour sommeil. 

 

Vite. Le rendez-vous m'est offert, et ne se reproduira peut-être jamais avec la même intensité. Je ne veux pas le manquer. J'enroule mon corps de senteur douceur, l'habille de soie noire, angora. Je dévale l'escalier. J'aime la pièce de vie, qui allie tant qu'à présent bureau, salon et repas dans notre fermette. J'écarte les tentures bois de rose aux reflets d'étain, accueillant le paysage. Le Soleil envahit la maison, et focalise ses rayons sur le petit bouquet de fleurs roses pourpres qui éclaire le seul meuble qui me vient d'eux. Rappel de mon ordre du jour ?  

 

Toutes les photos sont là. Certaines dans leur antique présentoir de cuivre sculpté. D'autres ont préféré un cadre doré finement. Leurs personnages habitent ma mémoire, tout autant que ma maison. La plupart d'entre eux me regardent, je sais qu'ils me reconnaissent. Elle surtout. J'aime ses yeux clairs et francs. Ils ont le bleu des matins de printemps. Souvent je lui parle, je lui pose les questions du quotidien, et je sens les mots de ses yeux. Son regard est comme une perche tendue, forte, douce et solide, qui comble le vide du temps. C'est une ligne ouverte, disponible toujours, chargée des messages qu'elle garde en réserve depuis tout ce temps pour moi. Miroir intemporel. Femme majuscule. Ma grand-mère paternelle, Jeanne.

 

Bon, il semble que ce soit plus sérieux que je ne pensais. Serait-ce donc vraiment aujourd'hui que je vais retrouver leur image ? Je dois me dépêcher, si je veux n'oublier personne. Surprenant, en fait... Voici que je remarque comme pour la première fois ce tableau, signé d'un arrière-grand-oncle, qui surplombe la cheminée depuis toujours. La petite église de Froidlieu, peinte sous un ciel bleu aux nuages blancs... Elle existe encore, pas loin d'ici. Elle abrite le repos de Jean-Baptiste et de son épouse, mon arrière-arrière grand-mère. Sur cette même cheminée en bois ciré, un autre vestige de leur époque: le marteau gravé‚ aux initiales des époux et du village, avec lequel l'ébéniste signait ses œuvres de bois. Et là, au-dessus du bureau de chêne, un portrait dont les tons foncés dégagent une certaine sévérité, démentie aussitôt par le regard bleu porté au loin. Jean-Baptiste semble perdu dans ses pensées. Il a les cheveux clairs et porte son sarrau avec dignité. Je souris : ne dirait-on pas le début du jeu de piste d'un Agatha Christie? 

 

Les contretemps de mon agenda me laissent ce temps imprévisiblement libre. Ma curiosité, titillée par ces incidences de mon matin, m'autorisent au départ. Que vais-je donc rencontrer, au hasard des chemins de mes aïeuls ?

Photo M-A D., Sourires d'autrefois, tout le monde y est, presque… ,

Hour-en-Famenne, 04.01.1990.

 

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