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Florilège : 205

 

Roman "Jean-Baptiste"

 

Marie-Anne Delahaut 

Hour-en-Famenne, 05.10.1990.

Chapitres

01. Rendez-vous (MAD)  * 02. Li Dvantrain (JD)  * 03. La Ducasse (MAD) 

04. La Communion (JD)  * 05. Augusta (MAD)  * 06. Tristesse (JD) 

07. 205 (MAD)  * 08. Période de guerre 1914-1917 (JD)  * 09. Fleurs des champs (MAD) 

10. L'ardoise de Baptiste (JD)  * 11. Emois interdits (MAD)  * 12. Une Montre en or (JD) 

13. Jeanne (MAD)  * 14. Recette pour vivre vieux (JD)  * 15. Tout l'amour d'une maman (MAD).

Au volant de la super Peugeot 205 Forever, 17.04.2002. Photo N2D.

 

 

Depuis combien de temps ces gens étaient-ils attablés ?

 

Des groupes s'étaient formés, semble-t-il. Je devinais le froissement des cartes, les rires, parfois.

 

Des bruits de vaisselle, aussi. Tant de choses à servir, à ranger, à débarrasser...

 

Un homme est sorti, tout à coup, s'est faufilé vers le côté de la maison. Il ne m'a pas vue.

 

Certaines personnes sont parties, avec les adieux de Lucien et d'Ernestine.

 

Peu de paroles, beaucoup d'accolades. La tristesse n'était pas feinte, visiblement. 

 

 

J'ai vu partir Jean-Baptiste, le visage fermé, murmurant un long message à l'oreille d'Octave, qui semblait inconsolable.

 

Je l'ai vu se retourner, trois fois au moins, pour faire un signe rapide à son petit-fils.

 

Vraiment, l'occasion était inhabituelle... 

 

 

Et puis j'ai vu Ernestine. Elle est sortie en courant, furtive.

 

Elle s'enfuyait, c'est plutôt cela.

 

Elle avait gardé son chapeau, mais serrait un mouchoir dans sa main. Elle se dépêchait.

 

J'ai été émue de la voir relever d'une main fine sa longue jupe noire, pour faciliter sa course. J'étais sans voix.

 

Elle a couru, comme Augusta, sans bruit, dépassant l'école.

 

Elle a tourné à gauche vers le champ, essuyant par à-coups ses yeux, d'un geste rageur. 

 

 

J'ai tendu la main vers mon arrière-grand-mère, mais je me suis sentie absurde, sous cet immense ciel bleu, dans ce paysage de mon enfance, avec mon corsage rouge et ma mini-jupe blanche aux fleurs assorties.

 

Mes talons aiguilles m'empêchaient de courir avec elle. J'ai enlevé ces chaussures et je l'ai suivie, pieds nus.

 

Lorsque j'ai atteint le verger, elle avait choisi un arbre, au milieu du champ, et s'était effondrée, laissant libre cours à ses sanglots, dans ce qu'elle croyait être la solitude protectrice de la nature. 

 

 

J'ai franchi quelques mètres, bouleversée.

 

J'ai tendu la main, à nouveau, sans savoir quoi dire, quels mots prononcer.

 

Je la reconnaissais, je la sentais, je la voyais, je l'entendais.

 

J'aurais voulu m'agenouiller près d'elle, lui prendre la main, la serrer dans mes bras, l'aider un tout petit peu...

 

J'étais pétrifiée, près de cet arbre.

 

Je n'ai pas osé approcher d'elle au point de la toucher.

 

J'ai murmuré quelques mots, je l'ai appelée, pas assez fort, sans doute.

 

Elle ne m'a pas entendue. Elle n'a pas bougé. Elle ne m'a pas regardée.  

 

 

Tout à coup pourtant, elle a semblé entendre un léger bruit, son regard s'est dirigé vers moi qu'elle ne voyait pas.

 

Elle a tendu la main et étonnamment elle a cueilli au vol une grande plume d'oiseau qui semblait tomber du ciel juste à cet instant.

 

Elle a souri au ciel, cherchant l'oiseau et a doucement caressé son visage avec cette plume.

 

Un signe pour elle d'une présence invisible ?

 

Elle a certainement pensé à sa fille Augusta, elle n'a pu imaginer que ce signe pouvait venir de son arrière-petite fille, 78 ans plus tard.

 

Il faut pouvoir vivre ses rêves quand ils font du bien… 

 

 

Puis en un instant je me suis retrouvée seule, dans ce verger, mes chaussures à la main.

 

Ebahie.

 

Où était la frontière entre le rêve et la réalité ?

 

Je n'en saurai jamais rien.

 

L'herbe était froissée, au pied de l'arbre, pourtant.

 

Cet instant est étrangement gravé dans ma mémoire. 

 

 

J'avais toujours les clés de ma 205 en main.

 

J'ai remis mes chaussures, j'ai marché en essayant de ne pas me faire remarquer, doutant de tout.

 

Ma voiture était garée devant l'école. Heureusement, je ne devais pas repasser devant la maison.

 

J'étais gênée de moi, incertaine de ce saut dans le temps.  

 

 

J'ai laissé ma voiture prendre de la vitesse dans cette descente que je connaissais par cœur, je n'ai vraiment démarré que devant la potale.

 

Pour éviter toute confusion.

 

En arrivant à la grand-route, j'ai viré à gauche vers Pondrôme.

 

Deux kilomètres plus loin, je me suis arrêtée, toujours assez troublée, je dois bien le reconnaître.

 

Je me suis garée près de l'église, je me suis approchée de l'auberge de pierres bleues, comme avant.

 

Je me sentais attirée, en confiance, dans cet inconnu de maintenant, face à l'auberge qu'avait tenue ma tante Lydie jadis. 

 

 

J'ai pris le temps de remarquer que la façade est restée semblable, que les anciennes toilettes étaient toujours à l'extérieur dans la petite cour fleurie, derrière un petite porte blanche.

 

Quelques hommes discutaient au bar. Ils m'ont regardée, m'accueillant de remarques guillerettes que je n'ai pas entendues.

 

Le comptoir est très pittoresque, très long, avec, sur le mur, des étagères remplies de verres épais colorés, comme autrefois.

 

Je devais avoir l'air bizarre, car on m'a laissée tranquille.

 

Je me suis dirigée vers la gauche, j'ai choisi une table en face de la porte coulissante, qui laisse voir l'escalier.

 

En passant, j'ai remarqué un tableau, sur le mur, face au comptoir.

 

Il représente les joueurs de cartes dont mon père m'avait parlé, avec l'imparable devise "Les r'wétants n'ont rén à dire". 

 

 

J'ai senti que la tête me tournait. La patronne s'est approchée de moi, en souriant bien qu'un peu étonnée.

 

Elle m'a dit simplement : "Bonjour ! Vous voulez une tasse de café ?"

 

Aux cartes, "Les r'wétants n'ont rén à dire" (ceux qui regardent n'ont rien à dire)

Dessin original du peintre Ben Genaux, Collection M-A D.

 

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